Quelques lieux et occasions de rencontre disparus (ou presque)
(Article publié à l’occasion de la sortie de l’ouvrage Histoire populaire de l’amour au Québec, tome III.)
Sans prétendre à l’exclusivité, voici un bref survol de lieux et d’occasions de rencontre qui appartiennent à l’histoire du Québec, même s’il en subsiste des reliefs aujourd’hui.
L’église paroissiale
L’église paroissiale fut pendant des lustres au centre de la vie sociale des fidèles. Outre la présence aux messes, aux rites et aux fêtes religieuses, on s’y rassemblait pour prendre connaissance de l’actualité (des journaux et des avis publics y étaient lus à voix haute, au bénéfice des analphabètes), pour de nombreuses activités communautaires, éducatives ou culturelles (les églises encadraient des associations laïques) ou simplement pour bavarder — notamment à la sortie de la messe, quand les paroissiens s’attardaient sur le perron.
Époque révolue, avant la crise qui secoua l’Église dans les années 1960.
Depuis quelques décennies, les Québécois fréquent les églises à la carte : des couples y trouvent un décor de rêve pour un mariage digne d’un « conte de fées », cet évènement « magique » et si glamour, mais sans dimension spirituelle ; d’autres se déplacent seulement pour des baptêmes ou des funérailles, ou encore pour une messe de Noël ou de Pâques. La majorité des Québécois ne se définissent plus par leur pratique religieuse. Et il y a belle lurette qu’ils ne conçoivent plus l’église comme un incontournable lieu de socialisation où l’on peut faire des rencontres.
(Sur la photo, une église à Saint-Georges de Beauce dans les années 1880. Source : Société Historique Sartigan.)
La fête de Sainte-Catherine
Le Québec a longtemps célébré le 25 novembre la fête de Sainte-Catherine, patronne des filles à marier. On en profitait pour cuisiner la tire de la Sainte-Catherine, confiserie dont les origines remontent à la Nouvelle-France.
« À cette occasion, celles qui atteignaient leur 25e année étaient officiellement considérées comme vieilles filles et, bon gré mal gré, on les coiffait d’un bonnet », relate le Réseau de diffusion des archives du Québec. Une jeune femme célibataire qui « coiffait Sainte-Catherine », aussi surnommée Catherinette, s’attirait des moqueries.
Conseils (paternalistes) du journal Le Canadien, à Thetford Mines le 25 novembre 1920, aux femmes célibataires : « Invoquez la sainte qui vous fera trouver l’époux rêvé, en temps opportun, si réellement vous êtes destinées au saint état du mariage. En attendant, mangez à belles dents un bon morceau de tire canadienne tout en rêvant, au coin du feu, à celui qui vous empêchera de “coiffer sainte-Catherine” et vous permettra de remplir le rôle plus utile d’une bonne mère de famille. »
« Pour les plus jeunes, le 25 novembre s’avérait une journée idéale pour la recherche d’un mari, les rencontres étant facilitées par la fête », ajoute le Réseau de diffusion des archives du Québec.
La coutume religieuse a disparu dans les années 1960, ce qui fit baisser d’un cran la pression sociale sur les « vieilles filles » — voir ce reportage de Radio-Canada. La sucrerie est toujours populaire aujourd’hui.
La veillée de danse
Désignée élément du patrimoine immatériel du Québec en 2015 en vertu de la Loi sur le patrimoine culturel, la veillée de danse est un rassemblement où les convives tourbillonnent sur les traditionnels sets carrés, contredanses et quadrilles, en suivant les directives d’un « calleur » (personne qui indique à voix haute les figures que les danseurs et danseuses doivent exécuter).
En milieu rural, on se réunissait pour danser au domicile d’un villageois. « Tous les invités sont de solides colons, et d’accortes fermières à qui les travaux des champs n’ont rien enlevé de leur souplesse », raconte Victor Morin (1865-1960), notaire féru d’histoire et de folklore, dans l’ouvrage Nos Canadiens d’autrefois (1923). « Voyez ces quatre partenaires de la “gigue carrée” se tenant en équilibre sur une semelle tandis que l’autre “accorde” aux crins-crins endiablés du violoneux campé sans façon sur le coin de la table ; le plaisir brille dans leurs yeux, mais comme ils ne sont pas inlassables, un autre couple viendra remplacer celui qui trahira le premier signe de fatigue, et déjà un candidat s’annonce en invitant gauchement une jolie brunette à “lui faire face pour la prochaine danse,” au grand désarroi de son “cavalier” qu’on regarde d’un oeil narquois. »
Le livre Nos Canadiens d’autrefois reproduit une œuvre d’Edmond-Joseph Massicotte (1875-1929), Une veillée d’autrefois (1915) :
Victor Morin poursuit, en commentant l’illustration d’Edmond-Joseph Massicotte : « Mais les personnages les plus intéressants, ceux sur qui l’artiste a concentré l’habilité de son crayon, sont assurément les deux couples qui causent paisiblement, l’un au premier plan et l’autre au fond de la pièce. Quel peut bien être le sujet de leurs conversations ? Le sourire qui illumine leurs figures nous porte à croire que ce n’est pas la politique et je parie même, à l’expression de la belle fille qui baisse modestement les yeux là-bas sous la question anxieuse de son voisin, que sa réponse est celle de Maria Chapdelaine à Eutrope Gagnon : “Ce sera pour le printemps d’après ce printemps-ci, quand les hommes reviendront du bois pour les semailles.” » Une demande en mariage, en somme.
(Avis aux amateurs, il existe un Réseau des veillées de danse au Québec, initiative du Conseil québécois du patrimoine vivant.)
L’épluchette de blé d’Inde
Un autre party classique en milieu rural, l’épluchette de blé d’Inde, pouvait provoquer des rencontres.
« […] au milieu de la cuisine s’élève une pyramide d’épis chaudement enveloppés dans leurs robes — et l’on attend le signal de l’attaque », raconte en 1898 l’avocat, bibliothécaire et écrivain Pamphile Le May (1837-1918) dans son livre Fêtes et corvées. « Le voici ! on se précipite, en poussant un cri de joie, à l’assaut du léger rempart. Je ne sais comment cela se fait, mais le dieu de l’amour a si bien favorisé tout le monde, que chacun se trouve auprès de l’objet aimé. »
Il s’agissait d’un épi rouge, variété rare. Il s’en dissimulait parfois dans la masse d’épis jaunes et blancs. «Une espérance anime les travailleurs, l’espérance de trouver un blé-d’Inde d’amour — on appelle ainsi un épi rouge — car ce blé-d’Inde est mieux qu’un talisman ; non seulement il vous préserve de la mauvaise fortune pendant la soirée, mais il vous investit d’un doux privilège, celui d’embrasser qui vous plaît », souligne Pamphile Le May.
Ci-dessous, Une épluchette de blé d’Inde par Edmond-Joseph Massicotte (1917).
Les noces
De nos jours, les jeunes mariés invitent leurs familles respectives et leurs amis à assister à la cérémonie et, ensuite, à festoyer dans un lieu privé. Il ne leur viendrait pas à l’esprit d’y convier tout leur voisinage et d’ouvrir leur porte à des étrangers.
Dans l’bon vieux temps, au contraire, la noce était un événement social qui attirait non seulement toute la communauté, mais aussi des fêtards des environs.
« Dès que le souper est fini, on voit entrer en foules de jeunes hommes et de jeunes filles que l’on admet toujours pour danser, ils les nomment les survenants », note en 1787 un étudiant en droit nommé Nicolas-Gaspard Boisseau (né à l’île aux Coudres en 1765) dans un compte rendu d’une noce chez une famille d’habitants (Mémoires de Nicolas-Gaspard Boisseau, éditeur inconnu, 1907, p. 58).
« Il n’y avait pas de véritable noce à moins qu’elle ne durât trois jours et trois nuits », assure l’historien Joseph-Edmond Roy à la fin du XIXe siècle. (Histoire de la seigneurie de Lauzon, quatrième volume, La société d’histoire régionale de Lévis, 1984, p. 187-188.)
« Trois jours durant, la noce fera bombance autour de la longue table ployant presque sous le poids des victuailles dans la salle au parquet couvert de joyeuses “catalognes” », abonde l’écrivain Rodolphe Girard dans Nos Canadiens d’autrefois. « Entre les repas, le violoneux du village, brandissant l’archet et battant la mesure de la semelle, donnera le branle aux quadrilles et aux lanciers, alors que s’esquisseront des idylles qui auront pour épilogue de nouvelles noces. »
Ci-dessous, Une noce d’autrefois d’Edmond-Joseph Massicotte (1922).
Le Red Light de Montréal
On ne soupçonne plus l’ampleur du quartier de Montréal consacré aux nuits folles et au vice. Son règne s’étend des années 1860 jusqu’aux années 1950 sur un territoire qui a englobé le boulevard Saint-Laurent, au sud la rue Craig (aujourd’hui Saint-Antoine), à l’est la rue Saint-Denis et au nord la rue Sherbrooke.

Un livre sur l’actrice américaine Lili St-Cyr, reine du striptease à Montréal de 1944 à 1951.
C’était la fête dans les cabarets, clubs, salles de danse, théâtres, cinémas, restaurants, débits d’alcool, avec des vedettes venues de l’étranger et des touristes américains. Les établissements clandestins, bordels et maisons de jeux de hasard, attiraient un public plus turbulent… et les descentes policières.
Le Red Light a pu prospérer grâce à une certaine tolérance de la part des autorités municipales, de la police et de la justice, qui considéraient comme un moindre mal de confiner la prostitution, les jeux de hasard et les cabarets les plus louches dans un seul quartier « chaud », pour éviter que le vice déborde dans toute la ville.
En 1957, des démolitions à grande échelle (au nom de la salubrité publique) ont eu raison du Red Light. Pendant la seconde moitié du XXe siècle, seule l’intersection du boulevard Saint-Laurent et de la rue Sainte-Catherine rappelait l’ambiance olé-olé d’autrefois. À compter de 2003, le secteur a été aseptisé pour devenir un piège à touristes, le Quartier des spectacles.
Dans un court documentaire produit pour La Société Histoire Canada, deux membres du Centre d’histoire de Montréal présentent les faits saillants de l’histoire du Red Light :
À lire également, une excellente série d’articles réalisés grâce au matériel de l’exposition Scandale ! Vice, crime et moralité à Montréal, 1940-1960 présentée au Centre d’histoire de Montréal de 2013 à 2017, et à partir du livre Scandale ! Le Montréal illicite, 1940-1960 (Les éditions Cardinal, 2016).
La roulathèque disco
La mode disco a déferlé du milieu des années 1970 au début des années 1980, laissant derrière elle de bons ou de mauvais souvenirs — question de goût.
Le saviez-vous, Montréal était en 1979 la seconde capitale nord-américaine du disco après New York, selon le magazine américain sur l’industrie du disque Billboard.
Dans les roulathèques, la jeunesse en patins se déhanchait sur les rythmes disco et en profitait pour draguer. (Un loisir perpétué par quelques nostalgiques, à Montréal comme à Chicoutimi, les patins parfois recouverts de minou comme à la mode d’autrefois.)
Dans ce court métrage de 1979, un adolescent en mal d’amour tente sa chance dans une roulathèque :