24 octobre 2020

Pour en savoir plus sur l’histoire de l’amour, quelques livres incontournables

Par Jean-Sébastien Marsan

Vous appréciez la série Histoire populaire de l’amour au Québec ? Vous souhaitez en savoir plus sur l’histoire des mœurs en Occident ? Voici quelques suggestions de lecture.

Dans le classique L’amour et l’Occident (1939, édition définitive publiée en 1972), l’écrivain suisse Denis de Rougemont (1906-1985) décrypte l’histoire de notre imaginaire amoureux en soulignant que notre culture puise essentiellement au mythe de la passion contrariée. Il s’attarde au récit fondateur de nos névroses, Tristan et Iseult (à ce propos, voyez mon billet). Un essai dense, érudit, mais sans les lourdeurs de l’ouvrage savant.

« Ce qui exalte le lyrisme occidental, ce n’est pas le plaisir des sens, ni la paix féconde du couple », écrit Denis de Rougemont. « C’est moins l’amour comblé que la passion d’amour. Et passion signifie souffrance. Voilà le fait fondamental. »

Amours de Jacques Attali (avec la collaboration de Stéphanie Bonvicini, Fayard, 2007), ouvrage solidement documenté et abondamment illustré, narre une histoire universelle de l’amour de l’Antiquité à nos jours. Où l’on apprend notamment que le couple exclusif-fusionnel est une réalité récente (dans l’histoire, 80 % des sociétés humaines connues étaient polygames).

Économiste, haut fonctionnaire, banquier, conseiller spécial du président français François Mitterrand, Jacques Attali est l’auteur de plus de 80 essais et romans. Un intellectuel capable d’écrire sur n’importe quoi, sur l’économie, la politique, l’histoire, le judaïsme, l’alimentation, Blaise Pascal ou le Mahatma Gandhi, dans un style à la portée du grand public.

Trois ouvrages signés par l’historienne Elizabeth Abbott, bien vulgarisés, explorent autant de dimensions des relations humaines : Histoire universelle de la chasteté et du célibat (Fides, 2003), Une histoire du mariage (Fides, 2010) et Une histoire des maîtresses (Fides, 2012).

Née à Montréal, docteure en histoire de l’Université McGill, Elizabeth Abbott habite aujourd’hui Toronto. Elle a aussi écrit sur l’histoire de la dictature des Duvalier en Haïti et sur l’histoire du sucre. Comme tous les ouvrages cités dans ce billet, ses œuvres sont accessibles et captivantes.

Les nombreux ouvrages d’un autre auteur français, Jean-Claude Bologne, valent le détour :

Jean-Claude Bologne, qui a une formation en histoire des langues romanes, a débuté sa carrière comme critique littéraire. Il est aussi romancier.

Signalons également La plus belle histoire de l’amour, sous la direction de Dominique Simonnet (Seuil, 2003), livre d’entretiens questions-réponses avec des spécialistes qui commentent l’histoire de l’amour en Occident, de la préhistoire à nos jours.

Ce que nous apprend la philo

L’amour : de Platon à Compte-Sponville de Catherine Merrien (Eyrolles, 2009) condense la pensée de dix philosophes majeurs (de la Grèce antique au XXe siècle) sur la séduction, la rencontre, l’amour, le couple, le mariage, la sexualité et l’adultère.

Existe-t-il un amour heureux, sans souffrances ? Peut-on faire l’amour sans amour ? La passion amoureuse est-elle une illusion ? Une union purement spirituelle, est-ce possible ? Le mariage est-il l’ennemi du plaisir ? La jalousie est-elle une maladie de l’âme ? La sexualité, un mal ou un bien ? Peut-on se livrer à un libertinage respectueux, éthique ? Et faut-il continuer à vivre ensemble lorsqu’on ne s’aime plus ? Platon, Lucrèce, Saint Augustin, Montaigne, Descartes, Rousseau, Kant, Schopenhauer, Nietzsche et Compte-Sponville ont répondu à ces questions.

Les manuels

Du côté des manuels du parfait dragueur-baiseur, on ne peut passer à côté de deux classiques : L’art d’aimer du poète latin Ovide, qui a vécu à l’époque de Jésus-Christ, et le Kâmâsutra, écrit en Inde aux VIe et VIIe siècles après Jésus-Christ. Deux ouvrages rédigés du point de vue d’un homme qui veut conquérir une femme.

L’art d’aimer se révèle plus stimulant que les manuels contemporains (du genre Comment rencontrer l’âme sœur et réussir son couple), avec des conseils très concrets, pour une raison capitale : le texte est totalement dépourvu de rectitude morale et ignore ce que nous appelons aujourd’hui « la peur du rejet ». Pour Ovide, la fin justifie les moyens. L’enjeu de la drague, d’un point de vue masculin, consiste à apprivoiser madame en lui accordant de l’attention et moult compliments, en organisant les rencontres et les rebondissements de manière à laisser croire que ces événements naissent du hasard, jusqu’à ce qu’elle abandonne ses défenses. Ce dispositif est tout à fait inégalitaire : « tomber en amour » signifie que l’on s’abandonne à l’autre ou que l’autre a décidé de s’abandonner.

Le Kâmasûtra est bien connu pour son généreux catalogue de positions sexuelles, mais ne se résume pas à cela. Ce manuel traite de toutes les dimensions de l’amour : séduction, rencontre, mariage, sexualité (y compris l’homosexualité, la prostitution, des pratiques marginales), vie conjugale, adultère, rupture… Son propos demeure pertinent de nos jours. Comme Ovide, les auteurs (anonymes) du Kâmasûtra carburent au pragmatisme : apprentissage, pratique, résultats. « Parce qu’un homme et une femme dépendent l’un de l’autre pour le sexe, cela requiert une méthode, et cette méthode, le Kâmasûtra l’enseigne. » À chacun d’apprendre et d’agir : « Rien de bien n’arrive à un homme qui ne fait rien. »

En 1956, le psychanalyste américain d’origine allemande Erich Fromm a fait publier L’art d’aimer (à ne pas confondre avec celui d’Ovide). Plusieurs fois réédité, ce petit livre n’a pas vieilli.

Le credo de Fromm : l’amour est un art qui s’apprend, tout comme vivre est un art.

Nombre de célibataires estiment pourtant qu’ils n’ont rien à apprendre sur l’amour, qu’ils vivront le tant espéré « coup de foudre » pour ensuite « tomber en amour » (comme on tombe dans une marmite de potion magique), qu’ils s’installeront en couple, et que tout le reste coulera de source. Or, ils ne possèdent aucun acquis, aucune compétence particulière sur le terrain de la rencontre et de l’amour.

« Cette attitude — selon laquelle rien n’est plus facile que d’aimer — est restée l’idée dominante sur l’amour malgré les témoignages accablants du contraire », observe Erich Fromm. « Il n’y a guère d’activité, d’entreprise, dans laquelle on s’engage avec des espoirs aussi démesurés, et qui pourtant échoue aussi régulièrement que l’amour. Si tel était le cas pour toute autre activité, les gens seraient avides de connaître les raisons de cet échec et d’apprendre comment y remédier — ou bien ils renonceraient à cette activité. »